Un politologue poursuivi par une réputation dégradante depuis plus de quinze ans: Pascal Boniface raconte dans Antisémite l’histoire d’une malveillance par manipulation qui n’a d’autre origine que ses critiques envers Israël.
Une histoire à peine croyable et pourtant véridique. Une mésaventure et une injustice qui ont commencé en 2001 et qui se prolongent inexorablement comme une malédiction impossible à exorciser. Pascal Boniface est, à son corps défendant, le principal protagoniste de cette affaire au goût de cendres. Le politologue français, directeur de l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques) vit un cauchemar éveillé depuis près de dix-sept ans. Dans Antisémite (Editions Max Milo), sorti il y a peu, il conte par le détail et à la première personne les mille et un aléas d’une désignation infamante, issue de certains milieux qui font preuve d’une insatiable malveillance à son égard.
Les faits, en quelques mots. «L’affaire Boniface» part d’une note interne qu’il rédige en 2001 à l’intention des instances du PS français, dont il est alors membre. Il y prône un rééquilibrage de la position socialiste sur le dossier israélo-palestinien. Il lui paraît en effet que le tropisme pro-israélien dont le PS fait preuve depuis des décennies n’est pas juste et qu’il éloigne le parti du droit international ou en tout cas en néglige l’importance.
Un paragraphe de ce texte va lui coûter ces années de galère. Le voici. «A miser sur son poids électoral pour permettre l’impunité du gouvernement israélien, la communauté juive est perdante là aussi à moyen terme. La communauté d’origine arabe et/ou musulmane s’organise, elle aussi, elle voudra faire contrepoids et, du moins en France, pèsera vite plus lourd si ce n’est déjà le cas. Il serait donc préférable pour chacun de faire respecter des principes universels et non pas le poids de chaque communauté».
«Des torrents de boue»
La dernière phrase ici reprise ne sera jamais mentionnée alors que le reste du raisonnement sera en revanche repris par une cohorte de contempteurs qui vont se déchaîner pour dénoncer la soi-disant volonté de l’auteur de pousser le PS à épouser les thèses palestiniennes au nom d’une funeste logique électoraliste confinant à l’antisémitisme. La rumeur aidant, Pascal Boniface va bientôt carrément subir l’infamante qualification ici et là: il est «antisémite». Comme l’écrit Michel Wieworka dans la préface du livre qui conte l’affaire, «des torrents de boue se sont déversés sur lui depuis quinze ans, avec un parti pris dont j’ai été témoin direct à plusieurs reprises».
Pascal Boniface est un touche-à-tout. Ses spécialités sont la géopolitique et les relations entre sport et politique, mais il a aussi récemment écrit un ouvrage sur Léo Ferré. Sur une soixante-dizaine d’essais, quatre seulement ont pour sujet principal Israël et le conflit avec les Palestiniens. On est loin de «l’obsédé par Israël» que ses détracteurs décèlent en lui en toute mauvaise foi.
On serait d’ailleurs bien en peine d’épingler un texte, un paragraphe ou même une phrase qui corroboreraient l’accusation d’antisémitisme dont il fait l’objet dans certains milieux. Rien, il n’y a rien. Et pour cause, explique-t-il, l’antisémitisme constitue un aspect d’un mal plus global, le racisme, qu’il combat avec zèle, au point, dans sa mésaventure, de devoir éconduire d’authentiques antisémites qui, sur foi de la rumeur, viennent parfois oser lui apporter leur fétide soutien.
Chantage à l’antisémitisme
Pourquoi alors ses ennemis ont-ils choisi de l’attaquer sur ce terrain alors même qu’il n’a fait l’objet d’aucune plainte pour antisémitisme et, a fortiori, d’aucune condamnation? Une seule explication possible: il s’agit de faire taire les critiques contre la politique de l’Etat d’Israël. La méthode, vile, n’est pas neuve. Elle consiste à poser, ou même à juste suggérer, qu’un auteur – fût-il essayiste, journaliste ou autre – qui se complaît dans la critique d’Israël ne peut être, quelque part, qu’inspiré par des sentiments en réalité antisémites. Cette accusation, qui pèse comme une épée de Damoclès sur toute plume qui serait tentée de stigmatiser le comportement d’Israël, se révèle souvent efficace. Qui souhaiterait en effet subir l’opprobre avilissant et déshonorant d’une telle (dis)qualification? Personne, assurément, sauf peut-être quelques rares vrais antisémites qui s’assument.
Le récit de Boniface en devient hallucinant. Sa vie personnelle, sa famille même, en seront affectés. Et son institut, l’IRIS, puisqu’il l’incarne, se voit transformé en cible par ses ennemis, qu’on peut, peu ou prou, dénicher parmi les plus ardents acteurs d’un lobby non pas juif, mais pro-israélien, en France. De multiples pressions ont en effet été exercées sur les membres du conseil d’administration de l’institut (certains cèdent et démissionnent), tandis qu’un membre éminent du CRIF (Conseil représentatif des Juifs de France) va jusqu’à demander que les ministères qui travaillent avec l’IRIS cessent toute collaboration. L’existence même de l’institut a été menacée à un certain moment, selon le politologue.
Parmi les prises de position les plus insensées sinon les plus grotesques contre Boniface, on ne peut s’empêcher de citer celle de l’ex-Premier ministre PS Manuel Valls. Ce dernier accepte d’être membre du CA de l’IRIS entre 2007 et 2010, bien après «l’affaire de la note Boniface» donc, qui ne semble pas l’avoir alors ému. De sa mairie d’Evry, il envoie d’ailleurs un mot de soutien à Boniface en 2003: «Cher Pascal. Merci pour ton mot suite à mon papier dans le Monde. Je suis de tout cœur avec toi à propos de tes analyses sur le Proche-Orient. Amitiés».
Eh bien! ce même homme politique tourne casaque un jour et se dresse dorénavant tel un procureur inflexible traquant Boniface et l’IRIS. Le 10 novembre 2017, il déclare ceci à Marianne: «Je considère, par exemple, que ce qu’écrit l’universitaire Pascal Boniface depuis des années pose un vrai problème. J’ai d’ailleurs saisi les ministres des Affaires étrangères et des Armées qui financent l’IRIS de ce sujet, même s’il ne parle pas au nom de l’IRIS». Point d’explications, aucun argument, pas de citations de phrases précises. Rien. Il est vrai que le même homme, le 9 janvier 2016, alors aux affaires, pouvait dire que «expliquer le djihadisme, c’est déjà vouloir un peu excuser», ce qui en dit surtout long… sur lui-même.
Pas d’arguments à opposer
Dans une interview au journal 20 Minutes, ce 21 janvier, Pascal Boniface argumente très correctement: «L’idée n’est pas de me contredire, mais de me faire taire. Si je dis des bêtises, ce qui est tout à fait possible, on pourrait me le faire remarquer. Sauf que nous ne sommes pas dans un débat: il y a un néo-maccarthysme autour du conflit israélo-palestinien. Parfois, je me dis que finalement, ces gens me discréditent personnellement car, peut-être, n’ont-ils pas d’arguments à opposer aux miens». Disons-le: on tente de tuer le messager à défaut de pouvoir annihiler le message…
Comme l’écrit en expert (puisque lui-même dans le cas) le journaliste Dominique Vidal sur sa page Facebook le 8 janvier, «nombre d’intellectuels français ont fait, depuis une vingtaine d’années, les frais de ce terrorisme (l’accusation d’antisémitisme, NDBL). Mais aucun sans doute n’en a été victime aussi longtemps et aussi violemment que Pascal Boniface». Son livre, Antisémite, à la fois édifiant et consternant mais snobé par nombre de médias français, en rend compte avec acuité.
Baudouin Loos