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Une conversation à Riyad

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Les lignes qui suivent tentent de reproduire la conversation tendue que le Libanais Saad Hariri et le Saoudien Mohamed Ben Salmane pourrait avoir eue le samedi 4 novembre à Riyad. Quand le second a exigé (et obtenu) du premier qu’il démissionne de son poste de Premier ministre. La démission a bien eu lieu. Mais il s’agit donc ici d’une fiction, rédigée à partir de ce qu’on peut deviner de l’entrevue.

Riyad, 3 novembre 2017, 23 heures. Saad Hariri, le Premier ministre libanais vient d’atterrir dans la capitale saoudienne. Pas vraiment un déplacement qu’il effectue de gaieté de cœur. Il était déjà venu à Riyad quatre jours plus tôt et tout s’était bien passé. C’est ce qu’il croyait. Alors, quand il a reçu une convocation urgente signée par le roi Salmane, dans l’après-midi du 3 novembre, il a compris que quelque chose de grave avait eu lieu. Ou allait se produire. Quelque chose de très désagréable pour lui. Impression confirmée à l’aéroport de Riyad : les autorités n’avaient délégué personne pour l’accueillir, une première.
Le lendemain matin, Saad Hariri est amené dans le salon luxueux d’un palais où un écran diffuse les informations en continu d’Al-Arabiya. L’attente va durer plusieurs heures. On ne lui donne que de l’eau. Mohamed Ben Salmane fait soudain son apparition. « MBS », Hariri le sait, est déjà le vrai décideur dans le royaume. Un garde éteint prestement la télévision.
- Bonjour, dit le prince héritier sans même regarder son hôte. L’heure est grave.
- Je vous écoute.
Chez les Arabes, les vrais sujets ne sont jamais abordés d’emblée. Cette entame de conversation achève d’alarmer le Libanais.
- Nous voulons que tu démissionnes de ton poste de Premier ministre. Sur-le-champ et d’ici, à Riyad.
Le ton est sec, autoritaire. Hariri tente de résister.
- Je ne comprends pas. Je suis encore venu cette semaine à Riyad et aucun reproche ne m’a été formulé.
– Trop c’est trop. Ce gouvernement libanais qui comprend des ministres du Hezbollah est une gifle pour nous. Ces chiens de chiites prennent leurs ordres à Téhéran !
– Mais c’est le cas depuis un an, j’ai été intronisé Premier ministre il y a exactement douze mois ! Vous n’aviez pas fait opposition. On en a encore parlé cette semaine ensemble, je vous avais réexpliqué en quoi la présence du Hezbollah au sein de l’exécutif était nécessaire pour la stabilité du Liban. Ce n’est pas quelque chose qui me fait plaisir mais on peut difficilement nier la pertinence de cette analyse. Vous savez bien les périls qui guettent mon pays divisé par tant de communautés et entouré d’ennemis…
– Le « Hizb’ » a dépassé les limites. Ils sont maintenant présents au Yémen auprès des Houthis, ces rebelles chiites soutenus par l’Iran et que nous combattons pour rétablir la légalité dans ce pays qui est à notre porte méridionale. Vendredi, du Yémen, les hommes du Hezbollah ont tiré un missile qui a été intercepté aux abords de notre aéroport national, ici à Riyad, tu te rends compte ? Ils font désormais peser sur nous un danger existentiel. Et toi, notre allié, tu continuerais à gouverner le Liban avec nos ennemis mortels ?
– Ils disent qu’ils n’y sont pour rien. Moi, je ne sais rien de cette affaire. Mais ma démission, surtout depuis Riyad, va faire beaucoup de bruit. Le monde entier va considérer que je suis votre otage, que vous m’avez obligé à agir dans ce sens.
– C’est bien le cas. J’espère que tu mesures bien ce qu’il se passe. Ton business est basé chez nous, et une partie de ta famille réside sur le sol saoudien. Tu es toi-même saoudien car nous avons octroyé la nationalité saoudienne à feu ton père. Il était loyal, lui ! Nous avons de gros moyens de pressions sur toi, même en dehors de la politique, réfléchis bien. N’oublie pas ce que tu nous dois. Et, d’ailleurs, comment peux-tu oublier que ce sont les hommes du Hezbollah qui ont tué ton père à Beyrouth en 2005 ?
– Je ne l’oublie pas ! J’y pense chaque jour. Mais, au Liban, les choses sont compliquées. Il faut souvent avaler des couleuvres pour le bien du pays. Ainsi, le leader druze Walid Joumblatt a fait souvent partie de cabinets en même temps que des partis pro-syriens alors pourtant que le régime de Hafez el-Assad avait assassiné son père en 1977.
– Tu me fatigues avec ces explications qui ne m’intéressent pas. Etais-tu obligé de recevoir cet Iranien à Beyrouth hier, vendredi matin ? Et d’ensuite faire une conférence de presse commune avec lui vantant la cordialité de vos relations quand lui parlait de victoire de « l’axe de la résistance » contre les forces terroristes ? Cherchais-tu à nous humilier ?
– Mais pas du tout ! Ali Akbar Velayati, envoyé par l’ayatollah Khamenei, m’avait simplement rassuré sur le fait que l’Iran tenait beaucoup à la stabilité du Liban. Je m’en étais publiquement félicité, c’est vrai. Mais je n’ai marqué aucune allégeance à Téhéran, je prends Dieu à témoin !
– Laisse Dieu en dehors de ça. Nous sommes très déçus. Depuis des décennies, l’Arabie saoudite déploie tous ses efforts pour le bien du Liban, nous avons même été décisifs dans les accords de Taëf en 1989 qui ont mis fin à la terrible guerre civile qui déchirait ton pays, et puis voilà comment nous en sommes remerciés : les Iraniens font désormais la pluie et le beau temps au Liban ! C’est insupportable.
– Mais si je démissionne, comment croyez-vous que les choses vont se passer ? Cela ne résout rien ! Il faut, par tradition, un Premier ministre sunnite au Liban. Quel sunnite accepterait de me succéder dans ces conditions ?
– On verra. En attendant, le Hezbollah incarnera presque à lui seul le gouvernement libanais. Il sera en première ligne. Nous pourrions lui mener une guerre économique. D’autres pourraient même l’attaquer militairement, qui sait ?
– Qui ? Israël ? Qui d’autre ? Même si vous l’y poussez, ce pays y réfléchira à deux fois avant de s’attaquer au Hezbollah, la dernière expérience, en 2006, n’a pas été très positive pour lui.
– On verra bien, je le répète. Nous avons préparé un texte que tu liras sur la chaîne Al-Arabya. Tu diras que ta vie est en danger à Beyrouth où un attentat est en préparation pour t’éliminer, et tu dénonceras la mainmise du Hezbollah sur ton pays en des termes très durs. Jusqu’à plus ample informé, tu resteras ici et tu diras à qui veut l’entendre que tu bénéficies de toute ta liberté. Est-ce bien compris ?
– Oui.
Fiction rédigée le 14 novembre 2017 par Baudouin Loos


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