En aura-t-on jamais fini avec « l’affaire Al Dura » ? L’ambition de l’essayiste français Guillaume Weill-Raynal était de répondre par l’affirmative, dans le livre intitulé Pour en finir avec l’affaire Al Dura qui vient de sortir aux Editions du Cygne. Mais l’auteur n’est pas dupe : malgré ses efforts pertinents, le dossier, lourd d’une passion qui peut obscurcir le jugement, restera sans doute longtemps encore aux yeux de certains le symbole du parti pris des médias.
Mais de quoi parle-t-on ? Le 30 septembre 2000, alors que la seconde intifada (révolte) palestinienne a commencé la veille, une fusillade entre militants palestiniens et l’armée israélienne a lieu à un carrefour routier près de l’entrée d’une colonie juive appelée Netzarim, à un jet de pierres de la ville de Gaza. Présent sur les lieux, le cameraman palestinien de France 2 filme un père et son fils qui, réfugiés derrière un tonneau empli de ciment, sont touchés par balles durant l’incident. Le fils, Mohamed Al Dura, décède, le père est vilainement blessé et sera ensuite opéré à Amman en Jordanie.
France 2 diffuse quelques secondes de ces images au JT de 20 heures et le journaliste, Charles Enderlin, indique que les deux Palestiniens ont été « la cible de tirs venant du côté israélien ». Ce reportage fait le tour du monde et scandalise. Le 3 octobre, le général Giora Eiland déclare : « Pour autant qu’on puisse en juger, l’enfant a été atteint par nos tirs ». Quelques jours plus tard, l’armée israélienne rase tout le complexe de bâtiments qui servait de décor à la scène de tirs…
Dans les années qui suivirent, deux reproches fondamentaux vont être émis par certains détracteurs, de manière croissante puis obsédante, à Charles Enderlin et à France 2. D’abord, d’avoir d’emblée incriminé l’armée israélienne alors que, selon ces critiques, il est plus qu’évident que les tirs en cause provenaient du côté palestinien (des militants palestiniens auraient, dans cette hypothèse, volontairement tiré sur ces deux civils). Seconde accusation, bien plus surprenante, émanant de procureurs autoproclamés bien plus radicaux : l’épisode a été monté de toutes pièces par les Palestiniens, personne n’a en réalité été tué ou blessé, tout cela n’est qu’une vaste mise en scène avec de fausses victimes destinée à faire porter le blâme sur Israël.
Plusieurs procès auront lieu en France depuis 2006. Le dernier, en (second) appel après cassation d’un premier jugement d’appel, a définitivement condamné un certain Philippe Karsenty pour diffamation en mai 2013. Ce personnage est en effet devenu central dans la polémique depuis de longues années, car il s’est fait le porte-parole de la théorie du complot (la théorie de la mise en scène) et il parcourt le monde avec son montage PowerPoint qui prétend démontrer sa thèse.
Dans son petit ouvrage sorti la semaine dernière, Guillaume Weill-Raynal entreprend de démonter la démonstration. Avec succès, « pour autant qu’on puisse en juger », comme avait dit un certain général israélien. Chaque argument de poids de Karsenty reçoit en tout cas une réponse convaincante. Mais l’auteur stigmatise aussi avec éloquence ceux qui ont voué toute leur énergie à attaquer France 2 et Enderlin, « une meute littéralement enragée, résolue à ne jamais lâcher prise, dont la passion et l’acharnement apparaissent comme vertigineusement disproportionnés à l’inconsistance d’arguments que seuls des simples d’esprit pouvaient prendre au sérieux ».
Guillaume Weill-Raynal va jusqu’à tenter une comparaison audacieuse avec l’affaire Dreyfus : « Il fallait que Dreyfus fût coupable pour que fût préservée la pureté originelle de l’armée française et du conseil de guerre ; il fallait que Mohamed Al Dura n’ait pas été tué pour que l’armée israélienne demeurât innocente ».
On pourrait juste regretter que l’auteur ne consacre que quelques lignes au dernier épisode de l’affaire, juste avant la condamnation définitive de Karsenty en France : la publication en mai 2013, par le gouvernement israélien, d’un rapport qu’il avait commandité auprès d’un comité au statut pour le moins vague et dirigé par un certain Yossi Kuperwasser (1). Ce rapport reprend à son compte… la thèse du complot chère à Karsenty ! Selon le quotidien Haaretz, ce texte n’apporte pourtant aucune pièce nouvelle au dossier. Plus étrange voire grave : les membres de ce comité (dont les noms sont restés secrets sauf celui de son président) n’ont pas jugé nécessaires d’interroger France 2 ou Enderlin. L’Etat d’Israël n’a d’ailleurs jamais attaqué en justice France 2 ou son journaliste pour l’affaire Al Dura, un constat en soi très édifiant.
BAUDOUIN LOOS
(1) Kuperwasser, dans une autre vie au service d’un autre organisme (une association d’avocats israéliens de droite), avait tenté en 2007 d’obtenir le retrait de la carte professionnelle d’Enderlin en raison de l’affaire Al Dura; la Cour suprême l’avait débouté. « Je suis le seul journaliste israélien qui est donc accrédité sur décision de la haute cour (elle était présidée par la présidente de la Cour suprême!) », explique Charles Enderlin mi-figue mi-raisin.
PS Charles Enderlin a lui-même écrit un livre en 2010 sur l’affaire Al Dura: Un enfant est mort, aux Editions Don Quichotte.