L’attentat anti-israélien en Bulgarie avait fait sept morts. Mais les évaluations provisoires des enquêteurs qui incriminent le mouvement chiite libanais ne font pas l’unanimité…
Malgré se dénégations, le Hezbollah est-il impliqué au premier chef dans l’attentat de Bourgas, en Bulgarie, qui a eu lieu l’an dernier ? La réponse à cette question peut avoir d’importantes conséquences régionales sinon plus.
Petit rappel des faits. Le 18 juillet 2012, un terroriste fait exploser une bombe à côté d’un bus transportant des touristes israéliens qui venaient d’arriver dans la station balnéaire bulgare. Bilan : sept morts, cinq Israéliens, le chauffeur du bus bulgare et le terroriste. Dans les heures qui suivent l’événement, Israël et les États-Unis incriminent le Hezbollah.
Mais il faudra attendre ce 5 février pour avoir du neuf en ce sens : « Il y a des informations concernant des financements et une appartenance au Hezbollah de deux personnes, dont l’auteur de l’attentat »,déclarait ce jour-là le ministre bulgare de l’Intérieur, Tsvetan Tsvetanov. Ces personnes « possédaient des passeports de l’Australie et du Canada » et « vivaient sur le territoire libanais depuis 2006 et 2010 ». Prudent, le ministre précisait : « Ce qui peut être établi comme une supposition solide – je répète, une supposition solide – c’est que les deux personnes dont l’identité a été établie appartenaient à l’aile militaire du Hezbollah ».
Il n’en fallait pas plus pour que les Etats-Unis et Israël réitèrent sans surprise leur recommandation empressée à l’Union européenne de classer le Hezbollah dans la catégorie des organisations considérées comme terroristes. « Le Hezbollah est dangereux et ses activités de déstabilisation – depuis les attaques contre des touristes dans des pays étrangers, jusqu’au soutien actif de son chef Hassan Nasrallah à la violente campagne menée par Bachar al-Assad contre le peuple syrien – menacent la sécurité des pays et des citoyens à travers le monde », a par exemple réagi le 7 février le conseiller antiterroriste du président Barack Obama, John Brennan, futur chef de la CIA.
Ce jeudi 21 février, c’est le président de l’Etat d’Israël, Shimon Peres, qui s’en est pris au Hezbollah. «Il a été prouvé que le Hezbollah a perpétré l’attentat terroriste en Bulgarie, sur le sol européen, et a tué des civils innocents », a affirmé M. Peres, selon un communiqué de la présidence israélienne.
Les Européens se sont toutefois jusqu’ici refusés à obtempérer, Catherine Ashton, responsable de la diplomatie des 27 restant dans le vague le 6 février avec l’affirmation que, dans cette affaire, ’il était « nécessaire de réfléchir à une réponse appropriée ».
Les Européens, divisés sur ce thème comme sur tant d’autres, attendent sans doute les conclusions de l’enquête bulgare, pas encore close. Certains d’entre eux rechignent par ailleurs à mettre en cause le Hezbollah pour ne pas mettre en danger les casques bleus de la Finul (force d’interposition au Sud-Liban) qui sont en majorité européens (et notamment belges), mais aussi pour ne pas déstabiliser le pays du cèdre. Car le « parti de Dieu » domine le gouvernement dans un pays, le Liban, qui reste relativement stable malgré la sale guerre qui déchire le grand voisin syrien, dont le régime est en effet activement soutenu par le Hezbollah.
Ce lundi 18 février, les ministres européens des Affaires étrangères ont pourtant évoqué l’attentat de Bourgas à Bruxelles. Ils disposaient des dernières déclarations du ministre bulgare de l’Intérieur, Tsvetan Tsvetanov, qui datent du 15 février, lequel avait révélé qu’il y avait dans le dossier « des données fournies par nos collègues d’Australie et du Canada concernant différentes formes et façons de financement par l’aile militaire du Hezbollah à ces personnes [les suspects], deux étudiants en ingénierie au Liban, âgés entre 26 et 33 ans ».
Mais le ministre bulgare des Affaires étrangères a adopté une attitude nuancée à Bruxelles. Il a estimé que l’Union européenne devait adopter une approche plus ferme envers le Hezbollah, toutefois Nicolaï Mladenov a recommandé d’éviter toute précipitation dans le classement de ce mouvement comme organisation terroriste, précisant qu’il faudrait encore des semaines sinon des mois avant la fin de l’enquête.
En Bulgarie même, pendant ce temps, tout le monde ne prend pas les informations officielles pour argent comptant. L’AFP signalait dès le 6 février que plusieurs députés d’opposition, toutes tendances confondues, s’étaient plaints que des preuves irréfutables d’une implication du Hezbollah n’avaient pas été présentées à la réunion du conseil de sécurité bulgare à l’issue de laquelle le mouvement chiite libanais avait été mis en cause.
La même agence citait Tihomir Bezlov, un analyste au Centre d’étude de la démocratie, à Sofia, qui relevait que la Bulgarie n’avait « pas les capacités d’investigation pour ce type d’attentat et compte forcément sur des informations fournies par des services secrets étrangers », ce qui impliquait qu’il n’y avait « pas de garantie que quelqu’un n’abuse pas de nous »…
Se pourrait-il qu’il existe d’autres suspects que le Hezbollah, mouvement chiite allié de l’Iran ? En matière de terrorisme sans frontières, la mouvance communément appelée « Al-Qaïda », sunnite extrémiste, a souvent fait parler d’elle (son « coup » le plus célèbre restant bien sûr les attentats de New York et de Washington le 11 septembre 2001).
Gary Porter, un journaliste américain d’investigation, mettait en évidence, ce 18 février, que deux Bulgares, l’ex-chef de l’enquête judiciaire et un journaliste, ont évoqué des liens avec Al-Qaïda dans le drame de Bourgas. Ce qui expliquerait, d’ailleurs, la précaution de langage du ministre bulgare de l’Intérieur, Tsvetan Tsvetanov, et sa « supposition solide » mentionnée plus haut.
La raison principale de cette prudence proviendrait de l’information donnée à un journal bulgare le 3 janvier par Stanella Karadzhova, procureur en chef en charge de l’enquête à l’époque, à propos d’une carte SIM (pour téléphone portable) trouvée sur les lieux de l’attentat, une carte de la compagnie marocaine Maroc Telecom, une information peu en phase avec l’hypothèse de l’implication du Hezbollah. « Détail » : Stanella Karadzhova a été limogée après cette interview.
Le 17 janvier, un journaliste bulgare, Slavi Angelov, connu dans son pays dans le domaine de l’investigation, estimait pouvoir écrire que les enquêteurs n’avaient pas trouvé de lien avec le Hezbollah et, pire, qu’un des deux suspects dont la fausse carte d’identité avait été « tracée » jusqu’à Beyrouth était, « selon un service de renseignement allié », lié à Al-Qaïda.
Et Gareth Porter de conclure son article sur IPS News comme ceci : « Tsvetanov a admis que la “supposition sur le Hezbollah” avait été adoptée seulement après la mi-janvier ; cette admission indique que la décision a été prise sous la pression de Washington, pas en raison d’une nouvelle preuve ».
Alors Hezbollah ou Al-Qaïda ? Ou un autre groupe extrémiste ? La vérité sur l’attentat de Bourgas ne semble pas encore près d’être connue.