Boycotter Israël. Serait-ce le moyen pacifique ultime pour convaincre les Israéliens et leurs autorités d’accepter la légalité internationale et d’évacuer les territoires palestiniens occupés? Les partisans les plus zélés des droits des Palestiniens en sont persuadés depuis longtemps. Ce qui est nouveau, c’est que l’idée progresse ces derniers temps dans le monde au point que d’aucuns en Israël, dont des ministres, s’en inquiètent très sérieusement.
De nombreuses voix au sein de la société civile palestinienne, lasses de voir les colonies juives dans les territoires occupés s’étendre sans réactions tangibles du monde extérieur, promeuvent ce type de pressions. Le 9 juillet 2005, une grosse centaine d’ONG, associations, syndicats et partis palestiniens avaient signé un appel au boycott, au désinvestissement et aux sanctions (BDS) contre Israël, sur le modèle de ce qu’a subi l’Afrique du Sud raciste naguère. Le texte appelait aussi à l’égalité pour les citoyens arabo-palestiniens d’Israël et demandait le droit au retour des réfugiés palestiniens.
Dans le monde, les progrès des partisans du BDS ont d’abord été lents mais ensuite réguliers. Assez en tout cas pour décider la Knesset d’adopter le 11 juillet 2011 une loi qui autorise les poursuites judiciaires contre ceux qui prônent le boycott économique, culturel ou académique d’Israël. La légalité du boycott vu d’ailleurs dans le monde recouvre en revanche des réalités fluctuantes (1).
Des initiatives se sont en tout cas multipliées ces derniers mois, aux Etats-Unis et en Europe. Ainsi, dans un geste spectaculaire, plusieurs importants fonds européens, néerlandais et norvégien ont tout récemment retiré leur participation dans des banques israéliennes qui financent la colonisation. En tout, une dizaine de compagnies publiques et privées ont récemment rompu leurs liens avec des firmes israéliennes impliquées dans les colonies, selon un encadré publié la semaine dernière dans le grand quotidien israélien Yediot Aharonot.
La prise de position de l’ASA, aux States, a également frappé les esprits. Il s’agit d’un influent syndicat du monde universitaire américain qui a décidé en décembre 2013 de boycotter les institutions universitaires israéliennes – mais pas les individus qui y travaillent -, provoquant un choc dans la communauté américaine des universités, même si cette décision reste très minoritaire. Le président du Congrès juif mondial, Ronald S. Lauder, a vivement réagi à cette nouvelle, estimant qu’elle démontrait «l’antisémitisme orwellien» de ses auteurs.
Le ralliement du fameux physicien britannique Stephen Hawking, en mai 2013, au boycott universitaire d’Israël, avait déjà jeté la stupeur dans ce pays: le professeur de mathématique de l’université de Cambridge avait adressé une lettre au président israélien, Shimon Peres, pour expliquer sa décision de ne pas assister de la conférence qu’il organisait en juin en Israël…
Les artistes, aussi…
La campagne BDS réunit aussi un certain nombre de personnalités du monde artistique, qui relaient le mot d’ordre de boycott dans leur domaine. Ainsi en est-il, par exemple du célèbre metteur en scène Ken Loach. Répondant aux questions du site lemuradesoreilles.org/ le 24 octobre dernier, le Britannique regrettait que l’Occident soutienne «un pays qui prétend être une démocratie, nous le soutenons à tous les niveaux, et pourtant, il est impliqué dans des crimes contre l’humanité. (…) Un boycott, c’est une tactique. Celle-ci est efficace contre Israël parce qu’Israël se présente comme un pilier culturel. Le boycott culturel le gêne donc beaucoup. Nous devrions n’être impliqués dans aucun projet soutenu par le gouvernement israélien. Les individus ne sont évidemment pas concernés, ce sont les actions de l’État israélien qu’il nous faut cibler».
Jean-Claude Lefort, ex-député communiste français et président d’honneur de l’Association France Palestine Solidarité, insiste lui sur le droit des Palestiniens à établir un Etat. «Depuis plus de 40 ans, nous dit-il, pour ne pas remonter plus loin, le droit édicté par l’ONU est bafoué, refusé, défié cyniquement par les dirigeants israéliens qui ne s’en cachent pas: ils refusent l’existence d’un Etat palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale. Dans pareil cas, la communauté internationale devrait en tirer les conclusions et agir. (…) Le boycott c’est créer un mouvement citoyen pacifique visant à faire bouger les lignes jusqu’à rendre intenable l’inaction des autorités qualifiées. C’est contraindre les dirigeants israéliens à respecter le droit. Qu’ils le fassent et cette campagne s’arrêtera aussitôt.»
Bruxelles clarifie sa position
Même l’Union européenne s’y est mise. Non pas en adoptant les consignes du BDS, loin de là, mais au moins en clarifiant ses positions par rapport aux colonies juives. Le 19 juillet 2013, Bruxelles a ainsi promulgué au grand dam du gouvernement israélien ses «lignes directrices» qui excluent, à partir de 2014, la coopération de l’UE avec Israël les institutions et entreprises israéliennes ayant des activités dans les territoires palestiniens (Cisjordanie, Jérusalem-Est, bande de Gaza) et syrien (Golan) occupés depuis 1967.
Comme beaucoup de voix critiques d’Israël, l’UE entend concentrer son effort sur les colonies, illégales aux yeux du droit international. Un avis qui satisfait un pacifiste israélien vétéran comme Uri Avnery, qui nous donnait son avis chez lui à Tel-Aviv en novembre: «Nous voulons isoler les colons par rapport au public israélien, c’est une précondition avant de les déloger d’où ils sont. Mais si on boycotte tout Israël, le grand public israélien va au contraire se ranger dans le camp des colons, c’est donc contre-productif».
Une opinion partagée par… Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, telle qu’il l’a exprimée le 10 décembre et qui lui a valu une volée de bois vert en Palestine. Omar Barghouti, l’un des principaux porte-voix du mouvement BDS lâchait ainsi en réponse: «Il n’y a pas de parti politique palestinien, syndicat, réseau d’ONG ou organisation de masse qui ne soutienne le BDS. Aussi, un responsable palestinien dépourvu de mandat démocratique et de tout soutien public réel ne peut prétendre parler au nom du peuple palestinien quand il s’agit de décider de nos stratégies ou de notre résistance au régime d’occupation, de colonisation et d’apartheid israéliens».
«L’économie israélienne en pâtira»
En Israël même, la perspective d’un boycott croissant commence à faire réfléchir. Le Premier ministre Binyamin Netanyahou va bientôt convoquer une réunion ministérielle qui y sera consacrée. Tzipi Livni, la ministre de la Justice qui est aussi en charge des négociations avec les Palestiniens, ne l’a pas attendu pour prévenir le 31 décembre: «Le boycott progresse de façon exponentielle. Ceux qui refusent de le voir vont finir par le ressentir».
Et elle n’est pas la seule responsable à tenir ce discours: en date de ce 31 janvier, cité sur le site de la Chambre de commerce France-Israël Israelvalley.com, le ministre israélien des Finances Yaïr Lapid ne prend pas non plus de gants: «Si les négociations avec les Palestiniens échouent, dit-il, et que le boycott européen intervient, même partiellement, l’économie israélienne en pâtira et tout Israélien sera directement affecté, d’un point de vue économique. S’il n’y a pas de règlement politique entre l’Autorité palestinienne et Israël, alors l’économie israélienne connaîtra une phase de récession importante, préjudiciable à tout Israélien».
L’Américain John Kerry lui-même a saisi cette balle au bond pour faire pression sur l’Etat hébreu quand il a fait une allusion à cette perspective ce week-end en Allemagne: «Les risques pour Israël sont très grands, a-t-il déclaré à propos d’une faillite possible des pourparlers de paix israélo-palestiniennes dont il est l’initiateur. Les gens parlent de boycott. Cela s’intensifiera en cas d’échec. Nous avons tous intérêt à la solution de ce conflit. »
BAUDOUIN LOOS
(1) Nous avons interrogé François Dubuisson, chargé de cours de droit international à l’ULB, sur la légalité d’un boycott d’Israël.
«Les appels au boycott des produits originaires d’Israël lancés par des associations militantes s’inscrivent dans l’exercice de la liberté d’expression et sont dès lors légales, indépendamment de l’avis que l’on peut avoir sur leur opportunité. Il existe une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme accordant aux ONG une protection renforcée de leur liberté d’expression, compte tenu de leur rôle essentiel dans le débat public, et les autorisant même à recourir à une certaine dose d’exagération. En Belgique, il n’y a jamais eu de poursuites à l’égard des campagnes de boycott menées par diverses associations. En Europe, seule la France fait exception puisque plusieurs militants y ont été condamnés pour « incitation à la discrimination ». Mais les juges sont divisés, plusieurs décisions ayant acquitté les personnes poursuivies, considérant que l’appel citoyen au boycott est couvert par la liberté d’expression.»
NB Une version plus courte de cet article est parue dans Le Soir du samedi 1er février 2014 sous le titre «De plus en plus d’Européens et d’Américains conscientisés», en complément d’un reportage de Serge Dumont en Israël et dans les territoires occupés.